L’Europe après le Brexit
Steve Ohana
Toulouse, 3 novembre 2016
Le vote britannique du 23 juin
est un symptôme d’un malaise profond situé au cœur des démocraties
occidentales. Le pacte national qui cimentait les sociétés occidentales au
sortir de la seconde guerre mondiale est en train de se fissurer. C’est un
événement considérable, dont les répercussions et les répliques se feront
sentir sur des décennies.
Il y a plusieurs façons, toutes
reliées, de lire le résultat du référendum.
Le premier angle de lecture
consiste à y voir un rejet identitaire et culturel de l’ordre international
libéral issu de la seconde guerre mondiale : une frange de l’électorat
culturellement conservatrice et politiquement attachée au cadre de l’Etat
Nation a manifesté son rejet des valeurs internationalistes, cosmopolites et
progressistes portées par les tenants du nouvel ordre postnational issu de l’après-guerre.
Le second angle de lecture
consiste à y voir une révolte de nature économique et sociale contre la
globalisation financière : les « perdants de la mondialisation »
se sont soulevés contre les élites politiques et économiques, qu’ils perçoivent
comme les organisatrices et les seules bénéficiaires de la globalisation
financière.
Le troisième angle de lecture est
plus spécifiquement rattaché à la crise de défiance vis-à-vis des institutions
européennes et au rapport de force UE/UK: on peut lire dans le résultat du
référendum britannique un mouvement opportuniste de la part d’un pays qui a
saisi une occasion historique de se dégager d’un continent en crise.
***
Crise de l’ordre post-national cosmopolite issu de
l’après-guerre
« Si on se croit citoyen du
monde, on est en fait citoyen de nulle part », déclarait Theresa May dans
son discours du 5 octobre dernier face aux représentants de son parti. Ainsi, celle
qui a succédé à David Cameron au 10 Downing Street marquait d’emblée sa lecture
du vote du référendum comme un appel des électeurs à un retour au cadre
protecteur de l’Etat-Nation, bien au-delà du problème de l’adhésion à l’UE qui
était la question officiellement posée aux électeurs. Le vote du 23 juin révèle
effectivement un schisme culturel entre britanniques favorables et hostiles à
l’immigration et aux valeurs cosmopolites et libérales au sens large, qui se
double d’un autre fossé culturel lié à l’âge (slides 2 et 3).
La campagne référendaire s’est
focalisée sur le problème migratoire, intra-UE et extra UE, sur la sécurité,
sur la préservation de l’identité et de la souveraineté britannique face à globalisation :
malaise face à l’immigration est-européenne (800 000 polonais vivent
aujourd’hui sur le sol britannique), face à la crise des migrants en provenance
du Moyen-Orient, sentiment de perte de souveraineté à l’égard des institutions
européennes sont les thèmes qui ont dominé la campagne pour le Brexit.
Ce n’est pas le moindre des
paradoxes que de voir le pays fondateur du libéralisme politique se révolter
contre l’ordre « libéral » internationaliste tel qu’il s’est
développé au cours des 30 dernières années. C’est que, pour les libéraux
britanniques, dont la plupart se sont retrouvés du côté Leave, le libéralisme
ne se conçoit qu’entre nations souveraines et consentantes, dans le cadre
d’intérêts réciproques bien compris. Theresa May, dans un discours antérieur au
vote du 23 juin alors qu’elle était Ministre de l’Intérieur en campagne pour le
Remain, justifiait d’ailleurs son soutien à des organisations ou traités
internationaux tels que l’OTAN par le fait qu’ils servaient l’intérêt national
britannique. En revanche, elle se montrait très réservée à l’égard de la Convention
Européenne des Droits de l’Homme, qui restreignait considérablement les marges
de manœuvre du Royaume-Uni dans sa politique sécuritaire sans apporter
d’avantages significatifs en retour. Pour les libéraux britanniques, le Brexit
est l’occasion de signer des traités de libre-échange avec le reste de l’UE,
sans passer par les complications d’une négociation à 28 sous l’égide de la
Commission Européenne. C’est aussi l’occasion de se défaire de réglementations
absurdes édictées par les technocrates non élus de Bruxelles. Ainsi, le vote du
23 juin reflète la constante aspiration des britanniques à une pleine et
entière souveraineté, de la guerre contre le Royaume d’Espagne au 16ème
siècle, au refus de capituler devant l’Europe allemande souhaitée par Hitler au
cours de la seconde guerre mondiale.
Alors que le respect du principe d’auto-détermination
des peuples était au cœur des préoccupations initiales de Churchill et
Roosevelt, une idéologie post-nationale s’est vite imposée dans le camp occidental
au sortir de la seconde guerre mondiale.
Le processus d’intégration avait notamment pour objectif de faire bloc face
à l’expansionnisme soviétique, un objectif qui allait notamment déboucher sur
la création de L’OTAN. L’intégration européenne a complété ce projet, avec en
filigrane l’objectif de contenir les velléités nationalistes des Etats
européens vues comme responsables des deux derniers conflits mondiaux. Ceci
allait mener à la mise en place de la CECA (6 pays), puis la CEE (12 pays), et
finalement l’Union Européenne (28 pays) et l’Union Monétaire Européenne (19
pays). C’est cette course vers « An even closer union », inscrite
dans les traités européens, qui allait susciter très tôt la méfiance des
Britanniques. David Cameron, bien avant le vote du 23 juin, avait d’ailleurs
part de son désir de retirer cette formulation des traités, mais sans succès. Par
son refus d’intégrer l’Union Monétaire et l’espace Schengen, par sa volonté
permanente de négocier des exemptions (non signature du Pacte de Stabilité
instaurant des limites de déficit budgétaire pour les Etats européens, restriction
sur la distribution d’aides sociales aux ressortissants de l’UE etc.), par sa
volonté de toujours réviser à la baisse sa contribution au budget européen (résumée
par le célèbre « I want my money back » de Margaret Thatcher adressé
aux leaders européens), le RU a toujours cherché à affirmer son désir
d’indépendance et sa réserve par rapport au processus d’intégration européenne.
Ce désir de souveraineté est peut-être à rattacher au fait que, contrairement
aux nations du continent, le RU n’a jamais été cédé aux sirènes du fascisme.
Les britanniques ont une vision positive et décomplexée de la souveraineté et
ne l’associent pas comme les continentaux aux heures sombres de leur passé.
Theresa May a récemment fait part
de son désir de placer le contrôle des flux migratoires au cœur de la
négociation de sortie du Royaume-Uni. Devant le discours aux relents
souverainistes et anti-immigrationnistes du nouveau gouvernement britannique,
le débat politique britannique oppose deux conceptions irréconciliables du
« libéralisme » : le libéralisme conservateur porté par les
« brexiters » et plaçant la souveraineté nationale au cœur de ses
préoccupations (quitte même à sacrifier l’accès au marché unique européen si
l’UE le juge nécessaire) et le « libéralisme » cosmopolite et
internationaliste, souvent plus à gauche sur le terrain économique (moins
favorable au libre-échange, plus favorable à la régulation et à l’intervention
de l’Etat dans l’économie) et beaucoup plus sensible aux droits individuels
(égalité des sexes, libre circulation des personnes, égalité des droits etc.)
qu’à la souveraineté nationale. En fait, depuis la fin des années 60, la
plupart des élites occidentales ont épousé de façon plus ou moins consciente la
cause du cosmopolitisme, qu’elles associent à une avancée irréversible par
rapport aux structures sociales et familiales archaïques qui régissaient
jusque-là les sociétés occidentales. Mais ce discours cosmopolite, qui
représente le discours dominant des grandes métropoles et trône en maître dans
l’espace médiatique et politique, est en réalité peu partagé au sein des
classes populaires, peuplant les zones rurales ou péri-urbaines que l’on
pourrait qualifier de « périphériques ». Celles-ci n’ont jamais été
séduites par les discours vantant les vertus des « sociétés ouvertes et
multi-culturelles » portés par les élites. Ils sont au contraire attachés
aux valeurs traditionnelles ainsi qu’à l’Etat-Nation, perçus comme le garant de
leur identité et de leur souveraineté. Les tenants de l’ordre libéral
internationaliste ont souvent tenté de minimiser la portée de cette
irrédentisme culturel en l’associant à une nostalgie déplacée de la part de
« vieux » qui ne devraient plus avoir leur mot à dire sur les choix
engageant les prochaines générations, à un manque d’éducation de la part des « sans-dents »
en ou encore de le réduire à une révolte
d’origine sociale due à un sentiment de déclassement économique. Une analyse plus
poussée révèle que ce mouvement trouve un écho chez les élites elles-mêmes,
mais aussi chez les jeunes. Notre époque est marquée par le retour d’une pensée
conservatrice, un effet boomerang de la domination devenue trop écrasante des
valeurs libérales et cosmopolites dans les sociétés occidentales.
La révolte contre l’ordre
internationaliste libéral est d’ailleurs commune à toutes les sociétés
occidentales et trouve dans chaque pays une incarnation politique propre, du Mayism
britannique au Marinisme français en passant par le Trumpisme états-unien. « Make
America Great Again », le slogan de campagne de Trump aux Etats-Unis, est
comme l’emblème de ce courant. Il fait appel à la nostalgie d’un ordre ancien
qui ne plaçait pas encore les droits individuels au cœur des préoccupations,
était respectueux des particularismes nationaux et faisait la part belle aux
Etats-Nations.
Le vote du 23 juin n’est pas la
première défaite de l’ordre internationaliste libéral issu de l’après-guerre.
On se souvient que le rejet par référendum du traité européen en 2005 par les électeurs
français s’était soldé par la ratification par le Congrès d’un traité à peine
amendé quelques années plus tard…. Mais c’est le premier mouvement de
déconstruction de l’ordre international qui prévaut depuis cinquante ans. Les
progrès récents enregistrés par les courants conservateurs dans les pays
d’Europe de l’Est, mais aussi en France, en Allemagne, aux Pays-Bas, en
Autriche, aux Etats-Unis, laissent penser que d’autres étapes de ce processus
de déconstruction suivront dans les années à venir.
Crise de la globalisation financière
Ce n’est pas un hasard si le
slogan de campagne de Theresa May est « A country that works for every
one » et si ses premières mesures économiques concernent le problème des excès
du capitalisme financier et des inégalités sociales et régionales (contrôle des
écarts de salaires, présence de représentants salariaux au conseil
d’administration des entreprises, politique de relance industrielle en faveur
des régions qui ont le plus souffert de la mondialisation). Cette orientation peu libérale marque une
rupture avec la ligne traditionnelle des Tories, de Margaret Thatcher à David
Cameron.
Le vote du 23 juin est en effet
le reflet d’un clivage entre bénéficiaires et perdants de la mondialisation. Ce
clivage se traduit d’abord au niveau régional. Le vote Leave a été très
majoritaire dans les anciens bastions industriels du Nord-Est de l’Angleterre tels
que Lincolnshire, le Yorkshire (Sheffield industrie textile et sidérurgique),
le Staffordshire (Stoke est le berceau de l’industrie minière). Il a été aussi
fortement majoritaire au pays de Galles, une région dont le PIB par tête est
plus bas que celui de l’Angleterre, de l’Ecosse et même de l’Irlande du Nord. Toutes
ces régions ont en commun d’avoir décliné à la fin du siècle précédent par
rapport à la région de Londres qui a majoritairement voté Remain (à plus de 70%
dans le centre de la capitale britannique). L’écart entre régions les plus
riches et les plus pauvres au RU est aujourd’hui le plus important d’Europe
occidentale. L’Irlande et l’Ecosse font cependant figure d’exception : ces
deux membres du RU, toutes deux culturellement attachées à l’intégration européenne,
cumulent PIB par tête plus bas que la moyenne du pays et fort vote pour le
Remain. Slides 4 et 5.
Mais le clivage a aussi une
traduction plus globale : le vote leave dépasse les 60% parmi les sans
emploi et les salariés peu qualifiés alors qu’il n’est que de 43% au sein des
classes moyennes supérieures.
Ces disparités régionales et
sociales, communes à la plupart des pays occidentaux, traduisent une évolution
de l’ordre économique mondial au cours des 30 dernières années.
Les accords de Bretton Woods, qui
régissaient l’ordre économique mondial au sortir de la seconde guerre mondiale,
étaient assez souples et respectueux des particularités des Etats-Nations. Cet
ordre économique mondial flexible, qui a accompagné la période des Trente
Glorieuses (une période de croissance soutenue et équitable au sein des pays
occidentaux) fait place à partir des
années 70 à un système économique plus intégré mais aussi plus instable et
inégalitaire. C’est une deuxième vague de mondialisation financière qui est
donc apparue à partir des années 70, la première s’étant achevée au sortir de
la Grande Guerre avec les mouvements bolchéviques, fascistes puis avec la
sortie de l’étalon-or et le repli protectionniste qui ont suivi la Grande
Dépression de 1929.
Quatre transformations radicales
se sont produites. Premièrement, le pouvoir de négociation des employés peu
qualifiés a été écorné sous l’effet conjoint de l’automatisation, du recul des
syndicats, de la concurrence de la main d’œuvre en provenance des pays à bas
salaires et de la flexibilisation du marché du travail. En second lieu, la
dérégulation du commerce mondial a connu une accélération avec l’avènement de
l’OMC (en lieu et place du GATT, beaucoup plus souple), fragilisant les
secteurs les plus soumis à la concurrence internationale et réduisant
considérablement les marges des Etats face aux possibilités d’arbitrages et au
pouvoir des multinationales. Troisièmement, la dérégulation du secteur
financier et des flux de capitaux a entraîné une explosion des salaires parmi
les employés de la finance et les « super-managers » ainsi qu’une
vulnérabilité croissante des économies locales aux soubresauts des marchés
financiers mondiaux. Enfin, la baisse des taux marginaux d’imposition et de la
fiscalité sur les revenus de l’épargne a introduit une dégressivité de l’impôt
pour les plus aisés, ceux-ci étant en mesure, plus que les classes moins
aisées, de pratiquer l’optimisation, l’évasion voire la fraude fiscale.
Ces différentes transformations ont
conduit à un mode de développement économique beaucoup moins équilibré qu’au
cours des trente glorieuses. Une explosion des inégalités salariales a été
observée dès le milieu des années 80 dans les pays anglo-saxons, qui ont mis en
œuvre les politiques de flexibilisation du marché du travail et de dérégulation
financière avec le plus d’ardeur (les 1% plus riches ont ainsi capté plus de
50% de la richesse créée depuis 1993 aux Etats-Unis). En Europe, c’est le mauvais
fonctionnement de la monnaie unique en réponse à la crise financière qui a creusé
les inégalités entre pays européens mais aussi en leur sein (nous y revenons
plus loin).
Tous ces bouleversements ont
provoqué une schisme croissant entre les « gagnants » de la
mondialisation, une catégorie habitant les grandes métropoles, bien insérée
dans la globalisation, éduquée et cosmopolite, et ceux se ressentant à tort ou
à raison comme les « perdants » de la mondialisation, une catégorie
englobant les jeunes, les chômeurs, les salariés précarisés, les habitants des
zones périurbaines (ou « périphériques »), les populations moins
diplômées et culturellement plus conservatrices.
Jusqu’à la crise financière de
2008, le contexte de croissance mondiale soutenue, les possibilités
d’endettement ouvertes aux classes populaires et les filets de sécurité
organisés par les « Etats-Providence » au sortir de la seconde guerre
mondiale ont pu un temps apaiser les ressentiments des perdants de la
mondialisation. Mais, dès la fin de la crise de 2008, la condition des classes
moyennes s’est fortement dégradée, sous l’effet du chômage de masse, de la
contraction du crédit et des coups de boutoir contre l’Etat-Providence qui ont
fait suite aux plans de renflouement des banques. Au même moment, les
catégories aisées, perçues comme les responsables de la crise, ont été les
principales bénéficiaires des politiques de soutien aux institutions
financières et aux marchés d’actifs. Ainsi, les 1% plus riches ont capté 92% de
la croissance des revenus entre 2008 et 2012 aux Etats-Unis.
La crise de 2008 a donc mis à
jour un système économique profondément inéquitable, qui peut être résumé par
le slogan : « Pile je gagne, face tu perds ». La période de
croissance (d’ailleurs modeste au regard de celle des Trente Glorieuses) qui
s’est étendu du début des années 80 à 2008 a profité essentiellement à la
sphère financière. Puis la crise financière qui a été provoquée par les excès
de cette dernière a forcé les Etats à renflouer les banques et à soutenir les
marchés d’actifs, surtout au bénéfice des plus aisés. Enfin, devant l’explosion
de la dette publique, les Etats, répondant notamment à l’appel des milieux
d’affaires, ont cru nécessaire de restreindre les politiques de soutien aux
plus fragiles.
Cette crise du capitalisme
devient une crise de légitimité des élites politiques. Les liens incestueux
entre sphères financières et politiques (Barroso est arrivé chez Goldman Sachs
après avoir quitté son poste de Président de la Commission Européenne, Mario
Draghi est devenu gouverneur de la BCE après avoir été directeur de la branche
européenne de la banque Goldman Sachs, Mario Monti était consultant pour
Goldman Sachs avant d’être nommé à la tête du gouvernement italien en 2011, l’ex
Commissaire Européen à la concurrence Nelly Kroes est maintenant consultante
pour la firme Uber, l’ancien Commissaire Européen à l’environnement Connie
Hedegaard travaille maintenant pour la marque Volkswagen, Hillary Clinton a
reçu des cachets importants de la part des banques de Wall Street à la fois
pour ses prestations en tant qu’oratrice et pour le financement de sa campagne électorale
etc.) laissent planer un doute sur la capture éventuelle du pouvoir politique
par la sphère économique et financière.
Le schisme économique et social
entre « perdants et vainqueurs de la mondialisation » est évidemment
très corrélé (quoique non exactement superposable) au schisme culturel évoqué
plus haut entre hérauts et opposants des valeurs multiculturelles et
cosmopolites : les mêmes personnes cumulent souvent des situations de
précarité économique et de rejet des valeurs libérales. On peut penser que les
deux situations d’exclusion sociale et culturelle se renforcent l’une l’autre
et débouchent sur un rejet exacerbé des « élites » qui, elles,
cumulent le plus souvent statut social valorisant et idéologie en accord avec
l’ordre libéral cosmopolite. Malgré cette forte corrélation, il ne faut pas
commettre l’erreur de confondre totalement la problématique culturelle avec le
conflit de classe : il existe des groupes fortement sensibilisés au
conflit de classe mais animés par l’idéologie « libérale
cosmopolite » (on peut penser par exemple aux mouvements étudiants
d’extrême gauche mais aussi aux mouvements écologiste en France ou au parti
national écossais au RU) ainsi que des groupes sensibles aux problématiques identitaires
et culturelles sans pour autant se sentir partie prenantes du conflit de classe
(on peut penser aux libéraux conservateurs tels que le mouvement UKIP au
Royaume-Uni ou la « petite bourgeoisie » de province).
Le rejet du capitalisme financier
a également trouvé un canal d’expression politique. La rébellion récente du
leader social-démocrate de la Wallonie Paul Magnette contre l’accord de
libre-échange entre le Canada et l’UE reflète une suspicion contre les élites
politiques en charge de gouverner la mondialisation, élites qui sont accusées
de favoriser les intérêts des multinationales aux dépens de ceux du plus grand
nombre. Le mouvement populaire Occupy Wall Street, celui des Indignés, de Nuit
Debout, la candidature Sanders aux Etats-Unis, le mouvement Podemos en Espagne,
Cinq Etoiles en Italie, la gauche du PS et le Parti de Gauche en France sont
des déclinaisons du mêmes mouvement.
Il y a une frontière de plus en
plus poreuse entre critique du capitalisme financier et critique du
cosmopolitisme. Les partis conservateurs en Europe et aux Etats-Unis intègrent
de plus en plus dans leur plateforme des éléments de critique du capitalisme
financier (critique des pratiques déloyales chinoises et des accords de
libre-échange, attention portée au problème des inégalités salariales et de la
gouvernance des entreprises, politique de résindustrialisation, critique de
l’austérité et de l’euro). Tel fut le cas par exemple de Theresa May dès sa
campagne d’investiture.
D’autre part, le rejet de la mondialisation
financière porté traditionnellement par les partis de gauche peut dans certains
cas venir s’agréger dans les urnes à la critique des valeurs cosmopolites
portée par le courant conservateur, comme ce fut le cas lors du référendum
britannique (on peut penser que le même mécanisme était d’ailleurs à l’œuvre
lors du référendum français sur le traité européen en 2005).
La confluence des deux thèmes de
contestation provoque une crise doctrinale à gauche. L’investiture de Corbyn à
la tête du Labor Party a marqué un virage idéologique de la gauche britannique,
vers une critique plus radicale des politiques austéritaires et des excès du
capitalisme financier. La gauche britannique s’est donc retrouvée mal à l’aise
dans sa position consistant à expliquer que l’appartenance à l’UE garantissait
les droits des salariés britanniques. Cette même UE venait en effet d’infliger
depuis 2010 des plans d’austérité aussi injustes qu’inefficaces à l’Irlande voisine
ainsi qu’aux autres pays périphériques de la zone euro (nous y reviendrons).
Ainsi, malgré l’appel (relativement timide) de la gauche britannique à voter
Remain (pas de consigne similaire du côté du parti conservateur), 1/3 des
électeurs du Labor Party ont quand même voté Leave, contribuant décisivement à
sa victoire (Slides 6 et 7). Il s’agit essentiellement des derniers
sympathisants du Labor Party encore situés dans les bastions traditionnels du
parti travailliste, c’est-à-dire les anciennes régions industrielles du
Nord-Est de l’Angleterre. Un député du Labor Party, John Mann faisait même
récemment remarquer ce fait pour souligner et déplorer la déconnexion du Labor
Party d’avec sa base. Le parti travailliste est aujourd’hui en déconfiture,
sans doctrine claire, et confronté au départ massif des Leavers. Face à cette
crise, certains, comme l’ancien candidat à l’investiture travailliste Chuka
Umunna vont même jusqu’à se demander s’il ne faudrait pas intégrer dans la
plateforme travailliste la restriction de la libre circulation des personnes,
de façon à se mettre en phase avec la situation post- référendaire…. Il faut
noter que, dans le thème de l’immigration, se mêle à la fois la critique du
cosmopolitisme et le critique des effets économiques de la mondialisation,
puisque l’immigration en provenance des pays à plus bas salaires pèse sur les
salaires peu qualifiés (même si l’effet est modeste d’après les nombreuses
études réalisées sur le sujet). On le voit, même la gauche est tentée de
raccorder critique du capitalisme financier et critique du cosmopolitisme, à
l’unisson de ses potentiels électeurs des classes populaires.
Crise des institutions européennes et rapport de force UE/UK
Le vote du 23 juin est intervenu
dans un contexte de crise institutionnelle majeure de l’UE et en particulier de
la zone euro.
La crise bancaire et souveraine
qui a éclaté en 2010 a révélé les défauts de construction de l’Union Monétaire Européenne,
à savoir l’édification d’une monnaie unique sans Etat fédéral permettant d’absorber
les « chocs asymétriques », c’est-à-dire les chocs affectant de façon
différente les membres de l’union monétaire. Les économistes américains avaient
pointé cette déficience dès les années 90, soulignant la nécessité de
mécanismes d’assurance de dépôts, de mutualisation des risques bancaires et de
transferts entre régions à l’intérieur d’une union monétaire. Quand une région
confrontée à un choc ne peut pas dévaluer sa monnaie, elle doit bénéficier de
mécanismes de solidarité de la part des autres membres avec lesquelles elle
partage sa monnaie pour maintenir le niveau de demande dans l’ensemble de
l’union monétaire. En l’absence de ces mécanismes, elle se trouve obligée de
s’ajuster par l’austérité, le chômage et la « dévaluation interne »,
c’est-à-dire la désinflation salariale, ce qui aggrave la crise de demande. Cette
situation s’était produite quasiment à l’identique dans le cadre de l’étalon-or
dans les années 30, conduisant l’Autriche, puis l’Allemagne, l’Angleterre et
enfin les Etats-Unis à sortir tour à tour de cette union monétaire pour dévaluer
leur monnaie et relancer leur économie.
Le résultat de ce défaut
institutionnel de la zone euro a été une divergence entre économies cœur et
économies périphériques, confrontées à l’implosion de leur bulle d’endettement
privé à partir de 2010. Cette situation handicape l’ensemble du continent
européen. La croissance économique en zone euro est la plus faible (et le
chômage le plus élevé) de tous les pays avancés depuis 2007 (slides 8 et 9).
Au niveau politique, l’Allemagne
a su utiliser son statut de principal pays créditeur des nations périphérique
et ses efforts de compétitivité passés pour accroître considérablement son
influence dans la gouvernance européenne. Derrière l’écran des institutions européennes,
et particulier la Commission Européenne et l’Eurogroupe, elle renoue avec une
politique de puissance en Europe. La chancelière allemande est le seul
dirigeant européen qui n’a pas été balayé par la vague de discrédit qui a
frappé l’ensemble des élites politiques du continent. L’idéologie ordolibérale
allemande, focalisée sur la compétitivité salariale et la maîtrise des déficits
publics, s’est imposée comme la doctrine incontournable dans la gestion de la
crise de l’euro, en dépit de son caractère fondamentalement anachronique et
inadéquate. L’Allemagne attribue son succès d’aujourd’hui aux efforts entrepris
par Schroeder pour maîtriser ses coûts salariaux pendant la décennie 2000. Elle
veut aujourd’hui modeler le reste de l’Europe à son image, sans comprendre
l’aide que lui ont fournie ses partenaires de la zone euro dans son ajustement
réussi des années 2000 ni la nécessité de leur renvoyer aujourd’hui
l’ascenseur. En effet, L’Allemagne s’est non seulement refusée à toute
politique de relance de la demande en zone euro, mais, au nom de sa fixation
sur l’équilibre budgétaire, elle a également refusé, malgré ses taux négatifs
jusqu’à l’horizon 10 ans, d’investir dans sa propre économie (l’investissement
public représente 2% du PIB en Allemagne, l’un des plus bas niveaux d’Europe).
Elle a également refusé, au nom de la préservation de sa compétitivité, de reflater fortement ses propres salaires, ce
qui aurait facilité l’ajustement de ses partenaires. En lieu et place de la
reflation salariale allemande, on a donc la désinflation salariale dans tous
les pays, édulcorée sous le nom de « réformes ». Les politiques de
compétitivité salariale généralisées ont entraîné l’économie européenne dans
une spirale récessive, où faibles salaires, faible inflation, faible demande et
trappe d’endettement s’alimentent l’un l’autre. L’implosion de la zone euro et
la déflation n’ont pu être évitées que par la politique monétaire ultra
accommodante menée par Mario Draghi à partir de 2012, politique à laquelle le
courant conservateur allemand est opposé mais qu’Angela Merkel, en véritable
équilibriste, a néanmoins acceptée pour sauvegarder l’euro qui est taillé sur
mesure pour les besoins de l’économie allemande. L’euro fortement sous-évalué pour
l’Allemagne sert en effet l’objectif allemand d’accumulation d’excédents
extérieurs tandis que l’arrivée de mains d’œuvre qualifiée en provenance des
pays du Sud durement touchés par le chômage a permis de remédier un temps au
problème du vieillissement démographique allemand. Si l’euro a été
(provisoirement) sauvé de l’implosion, les peuples européens ne l’ont pas été
du chômage et de l’appauvrissement.
La crise économique et sociale en
zone euro a logiquement miné la légitimité des élites politiques européennes.
En effet, les partis de gouvernement traditionnels n’ont offert aucune
alternative politique à la doctrine imposée par l’Allemagne et agréée par
Nicolas Sarkozy. Même les partis socio-démocrates, dont l’idéologie et la ligne
programmatique sont pourtant théoriquement éloignés de l’ordo-libéralisme, se
sont résignés à défendre le statu quo. Les seuls partis à avoir proposé une
alternative sont les partis d’extrême gauche et d’extrême droite (ces-derniers ajoutant
aux thèmes identitaires traditionnels le thème du rejet de la mondialisation
financière et de l’austérité ordo-libérale). C’est pourquoi les partis de
gouvernement traditionnels ont fortement reculé et les partis plutôt marqués à
l’extrême gauche fortement progressé en Espagne, en Italie et au Portugal,
conduisant dans tous ces pays à la fin du bipartisme. Même si les mouvements contestataires
du statu quo européen ont partout progressé dans les urnes, conduisant dans
certains cas à une situation de blocage politique, le seul pays où un parti de
rupture avec les politiques en place a remporté une victoire électorale est la
Grèce (où le parti d’extrême gauche Syriza a accédé au pouvoir en janvier 2015).
Mais ce pays, asphyxié par l’Eurogroupe et par la BCE et non préparé à
réémettre sa propre monnaie, a dû finalement capituler devant les exigences de
ses créanciers au cours de l’été 2015. Cet épisode a d’ailleurs souligné la
difficulté de sortie d’une Union Monétaire. Cette sortie ne peut être décidée,
à l’instar d’une sortie de l’UE, par référendum car toute anticipation du
risque de sortie se traduit par une fuite des capitaux et une crise bancaire.
Une telle sortie ne peut que se préparer secrètement et s’opérer brutalement.
A cette crise de l’union
monétaire, s’ajoute celle des migrants, qui a pris une acuité politique
particulière suite à la décision unilatérale de la chancelière allemande
d’accueillir un million de migrants sur le territoire allemand. Cette décision
n’a pas été seulement motivée par des considérations humanistes mais également
par le déficit de main d’œuvre qui menace l’économie allemande. Les violences
terroristes et sexistes qui ont impliqué les migrants récemment accueillis sur
le territoire européen ont confirmé toutes les craintes véhiculées par les
courants conservateurs européens opposés à cette politique. Cette décision a
provoqué une sécession des pays d’Europe de l’Est (Pologne, Hongrie, Slovaquie,
République Tchèque), réunis au sein du groupe Visegrad 4, et actuellement
gouvernés par des partis anti-establishment conservateurs. Elle est également
directement responsable de l’ascension fulgurante des mouvements
anti-immigration en Allemagne elle-même ainsi que dans le reste de l’Europe. C’est
également un des catalyseurs du vote Leave du 23 juin.
La conjonction des deux crises
(crise de la zone euro, crise migratoire et sécuritaire) coalise donc contre
les institutions européennes à la fois le mouvement de contestation culturelle
portée par les partis conservateurs et le mouvement de rejet du capitalisme
financier portée par les partis d’extrême gauche et d’extrême droite :
tandis que la critique conservatrice s’inquiète d’une Europe qui n’offre plus
de protection contre les flux migratoires et contre le risque terroriste, la
critique antilibérale est orientée contre les politiques de compétitivité
salariale et d’attaques contre l’Etat Providence en Europe. Et les uns comme
les autres s’indignent de la dérive autoritaire des élites européennes de plus
en plus déconnectées des préoccupations des peuples. Cette coalition des rejets
rend tout référendum sur la sortie de l’UE potentiellement explosif.
Ainsi, la situation politique
dans les pays cœur n’est guère plus satisfaisante que dans les pays
périphériques. Le Front National est le premier parti de France, tout comme le
parti libéral néerlandais anti-euro PVV dirigé par Geert Wilders. En Allemagne,
le parti anti-immigration et anti-euro AfD est à 14% dans les sondages (il
était à moins de 5% il y a trois ans). Les élections s’annoncent tendues dans
ces trois pays en 2017.
Dans ce contexte, le Royaume-Uni,
en tant que pays extérieur à la zone euro mais intégré commercialement au
continent européen, bénéficie de nombreux atouts pour négocier sa sortie de
l’UE.
L’objectif du RU dans la
négociation est clair : contrôler les flux migratoires en provenance des
autres pays de l’UE tout en maintenant le plus haut niveau d’accès possible au
marché unique européen.
Pour l’UE, céder à ces exigences
a un coût politique très élevé : ce serait renoncer au principe des
« quatre libertés fondamentales » (biens, services, capitaux, personnes),
qui constitue l’ADN de la construction européenne. Ce serait également envoyer
le signal d’une Europe à la carte, où tous les pays pourraient négocier sur
mesure les conditions de leur participation au marché commun. Dans le contexte
de la crise migratoire actuelle et de la poussée des thèmes migratoires sur la
scène politique, le risque est fort que d’autres pays demandent exactement la
même chose que le RU. François Hollande est le leader européen qui s’est montré
jusqu’ici le plus inflexible sur cette question (évoquant même le principe de
« punir » le RU pour décourager d’autres pays de vouloir faire la
même chose).
Mais, « punir » le RU
en le coupant du marché unique aurait également un coût économique important
pour l’Europe.
Les exportations du Royaume-Uni
vers le reste de l’UE représentent 13% de son PIB tandis que celles de l’UE
vers le Royaume-Uni représentent seulement 4% du PIB de l’UE (hors RU). A
première vue, la sortie du RU du Marché Unique pénaliserait donc davantage le
RU que l’UE. D’autre part, la fin de l’accès au marché unique pourrait
signifier pour le RU la perte du « passeport financier » permettant
l’export des services financiers de la City au continent. Cela serait une
aubaine pour les places financières européennes telles que Paris, Francfort,
Dublin, Luxembourg ou encore Amsterdam. Mais il faut tempérer cette première
impression. D’une part, la part de l’UE dans les exportations britanniques n’a cessé
de baisser depuis la crise, du fait notamment de la crise européenne. Même
avant le référendum, le RU se sentait donc déjà de plus en plus appelé à
développer ses relations commerciales vers le grand large (slide 10).
D’autre part, l’UE n’est pas un bloc politique homogène et, comme nous l’avons
vu, l’Allemagne y joue un rôle politique de premier plan. Or, l’Allemagne est
le pays de l’UE qui exporte le plus vers le RU (100 milliards de dollars par
an) et qui a le plus fort excédent commercial à l’égard du RU (slide 11).
L’Allemagne, pays mercantiliste par excellence, souffrirait donc de
l’instauration de barrières tarifaires avec le RU. D’autre part, le
Royaume-Uni, en tant que pays souverain disposant de sa monnaie, dispose d’un
certain nombre de leviers pour faire face au choc d’une sortie du Marché Unique :
relance budgétaire, baisse des taux, dévaluation de la livre, baisse de l’impôt
sur les sociétés, politique industrielle, réorientation de ses échanges avec le
reste du monde… Le levier monétaire est d’ailleurs celui qui a permis de
préserver la croissance britannique au moment où la zone euro s’est enfoncée
dans la déflation. La même logique a été à l’œuvre à l’approche et à l’issue du
référendum. La livre s’est dépréciée de plus de 20% par rapport à l’euro, ce
qui a permis de soutenir le secteur exportateur britannique et de maintenir la
croissance malgré l’incertitude créée par la perspective du Brexit. Cette
baisse de la livre pourrait permettre à plus long terme au RU de redévelopper
son industrie laminée par l’hypertrophie de la City londonienne qui, depuis
plusieurs décennies, a soutenu la livre au détriment des autres secteurs de
l’économie. La plupart de ces outils d’absorption des chocs n’est pas
disponible aux pays de l’UE, et en particulier de la zone euro, qui est une
zone monétaire non efficace. Certains pays, comme la Suède, moins sensibles que
la France ou l’Allemagne au tabou de la libre circulation des personnes et
particulièrement intégrés commercialement au RU, ont d’ores et déjà montré leur
volonté d’offrir au RU un statut particulier, combinant accès au marché unique
et contrôle des flux migratoires.
Punir le RU pour avoir respecté
la volonté populaire exprimée dans le vote du 23 juin aurait également un coût
politique pour l’Europe. La volonté exprimée par le peuple britannique de
réguler ses flux migratoires tout en maintenant l’accès au Marché Unique
correspond au souhait profond des autres peuples européens. J’en veux pour
preuve le projet récent du gouvernement allemand, en ligne avec le RU, de
restreindre les aides sociales au bénéfice des ressortissants de l’UE. L’accord
trouvé en hâte par Merkel avec la Turquie pour contrôler le flux des migrants
en Europe, l’érection de murs par les pays d’Europe de l’Est, mais aussi les
nouveaux contrôles aux frontières instaurés par la Norvège, la Suède et par
l’Allemagne elle-même en réponse à la crise des migrants, et ceux déployés par
la France et la Belgique après les sanglants attentats du Bataclan et de
Bruxelles sont autant d’indices concordants (slide 12). Le concept de
libre circulation des personnes a émergé à une époque où le risque terroriste
était peu présent et où l’UE ne s’était pas encore élargie à l’Est. C’était
donc une période où les problèmes sécuritaires et identitaires liés aux flux
migratoires intra et extra européens ne se posaient pas avec la même acuité
qu’aujourd’hui. Les élites européennes auront beaucoup de mal à justifier le
sacrifice supplémentaire de richesse au nom de la préservation d’un principe de
libre circulation des personnes qui n’est plus en phase avec les besoins et les
attentes des citoyens européens.
***
Après la crise de l’euro et la
crise des migrants, l’UE se trouve donc confrontée avec le Brexit à une troisième
crise existentielle. La négociation du Brexit place l’Europe à la croisée des
chemins. Soit les leaders des partis républicains européens écoutent les
aspirations des peuples et, de façon concertée, élaborent une sortie contrôlée
de la monnaie unique et de la libre circulation des personnes. Soit ils
continuent dans leur fuite en avant et alors, il faut craindre l’accession au
pouvoir de partis anti-establishment qui feront imploser le statu quo européen de
façon brutale et anarchique.
Au niveau plus global, le salut
du monde occidental réside dans l’émergence d’une élite conservatrice républicaine
à même de mieux réguler une mondialisation vectrice d’insécurité économique et
culturelle sans sacrifier la démocratie. Le RU a montré qu’il disposait de
telles élites. Mais il ne peut réguler la mondialisation lui tout seul. Les
mois qui viennent nous diront si les Etats-Unis et l’Europe continentale
sauront lui emboîter le pas. L’atmosphère pestilentielle qui se dégage de la
campagne électorale outre-Atlantique et la pauvreté du débat politique en Europe
ne présagent rien de bon. Mais, comme en 1940, l’espoir peut jaillir de situations
de crise extrêmes, qui révèlent souvent des leaders inattendus.