Publié dans le magazine Ma Yech, juin 2016
En 2009-2010, un consortium composé
de la compagnie américaine Noble Energy et de l’entreprise israélienne Delek a
annoncé la découverte de deux réserves de gaz dont la valeur combinée est
estimée à 240 milliards de dollars et qui pourraient bouleverser la situation
énergétique et géopolitique d’Israël. Tandis que le champ de Tamar, découvert
en 2009, peut, avec ses réserves estimées de 10 Tcf, pourvoir aux besoins de l’économie
israélienne pour les deux ou trois décennies à venir, la découverte en 2010 du champ
de Leviathan, deux fois plus gros que Tamar, est en passe de faire d’Israël un
pays exportateur de gaz important au niveau régional.
Les blocages et obstacles à
l’exploitation du gaz israélien restent cependant nombreux.
Les premiers tiennent à la politique
intérieure israélienne. Israël, qui se pensait pauvre en ressources, disposait
avant ces découvertes d’une réglementation très favorable aux investissements
miniers et énergétiques. A l’annonce des découvertes, le gouvernement israélien
a remis sur la table sa politique de taxation des revenus gaziers, ce qui a été
ressenti par Noble et Delek comme une politique confiscatoire au vu de tous les
investissements réalisés par ces deux compagnies (2.5 milliards de dollarsdepuis 17 ans selon le PDG de Noble).
Une fois le débat sur la taxation tranché (Israël s’alignant
sur les standards internationaux en matière de taxation des revenus
pétroliers), la polémique s’est déplacée sur le problème du « monopole
gazier » : en effet, Delek et Noble, les compagnies qui ont réalisé
la quasi-totalité des investissements au large des côtes israéliennes ces vingt
dernières années, se sont retrouvées en situation de quasi-monopole sur le
marché israélien du gaz. Le gouvernement a donc conclu un « accord
gazier » en vertu duquel les deux compagnies seront obligées de céder une
part substantielle de leurs participations dans le champ Tamar.
La polémique a également
porté sur le prix de vente du gaz de Tamar aux producteurs d’électricité et
industriels israéliens, dénoncé par certains comme « excessif » au
regard des standards pratiqués dans les autres pays producteurs. En réalité, le
prix est certes élevé quand on le compare à celui pratiqué par des pays tels
que le Qatar ou l’Iran, mais il est proche de celui pratiqué par les autres paysavancés. Un prix du gaz trop peu cher peut s’avérer en outre un cadeau
empoisonné pour l’économie israélienne car c’est une désincitation à développer
la recherche sur les énergies alternatives et une subvention pour une source
d’énergie qui, bien que moins polluante que le charbon, reste émettrice de gaz
à effet de serre et donc nocive pour les générations futures. De plus, un prix
de gaz plus bas, c’est moins de recettes fiscales pour le gouvernement
israélien, donc moins de possibilités d’investir dans les services sociaux,
l’éducation etc, c’est aussi moins de ressources pour le fonds souverain
israélien, dont les investissements serviront les générations futures. Enfin,
les compagnies gazières ont besoin d’un niveau de prix suffisant pour
rentabiliser leurs investissements. Dans le cas contraire, c’est la sécurité
énergétique d’Israël elle-même qui pourrait s’en trouver compromise. L’exemple
de l’Egypte est lourd d’enseignements : une politique de prix de gaz très
bas dans les années 2000 a provoqué une augmentation forte de la demande et un
recul des investissements qui ont finalement conduit à une pénurie grave de gaz
en 2011 (année qui a vu la chute de Moubarak et les attaques sur les
installations gazières égyptiennes du Sinaï), dans un pays pourtant
exceptionnellement doté. Israël, qui importait alors du gaz égyptien, s’est d’ailleurs
trouvé obligé d’importer du charbon et du pétrole pour pallier l’interruption
des livraisons en provenance d’Egypte. Le gouvernement al-Sisi a alors relevé
les prix réglementés et fourni des incitations fiscales fortes aux
investisseurs, ce qui a débouché finalement sur la découverte du champ géant
Zohr par la compagnie italienne Eni en 2015. En matière de régulation des prix
et des incitations fiscales, il faut donc ne pas céder aux discours
simplificateurs et arbitrer de façon intelligente entre les intérêts
stratégiques à long terme du pays, ceux à court terme du consommateur, ceux du citoyen/contribuable
et enfin ceux des générations futures. L’épilogue du conflit opposant le
consortium Noble-Delek au gouvernement israélien a été le retoquage par la Cour
Suprême israélienne d’une clause dite de « stabilité » dans l’accord
gazier. Il semble que ce dernier blocage soit en passe d’être surmonté, ce qui
pourrait ouvrir la voie à la mise en service en 2019-2010 du champ de
Leviathan, sans cesse différée depuis 2010 en raison des blocages politiques.
Mais se pose maintenant le problème
épineux des débouchés pour le gaz de Leviathan. Les débouchés régionaux chez
les voisins immédiats (Gaza, Jordanie) sont modestes et difficiles à exploiter
du fait de l’hostilité des opinions publiques à des importations de gaz israélien.
La découverte du champ Zohr annule le débouché égyptien et risque même faire de
l’Egypte un concurrent sur les marchés d’exportation.
Reste le marché turc, dont
les besoins en gaz sont appelés à doubler dans les sept années à venir. La
Turquie, qui pourrait absorber la moitié du gaz produit par Leviathan,
réduirait ainsi sa dépendance envers le gaz russe et iranien, ce qui explique
les déclarations récentes enthousiastes des responsables des deux pays. Mais un
accord israélo-turc est suspendu à un certain nombre de conditions : normalisation
des relations diplomatiques entre les deux pays (tendues depuis l’incident de
la flottille Mavi Marmara), levée partielle du blocus de Gaza (inacceptable
pour l’Egypte), cessation de l’aide financière et opérationnelle de la Turquie
au Hamas, accord de Chypre (en conflit avec la Turquie depuis la séparation de
l’île en 1974) pour faire passer un gazoduc reliant Israël à la Turquie par ses
eaux territoriales. D’autre part, ce projet entre en contradiction avec les
intérêts russes et placerait Israël dans une situation de vulnérabilité à
l’égard de la Turquie, devenue le point de passage obligé de son gaz vers
l’Europe.
Une option alternative à la solution turque serait d’acheminer par
gazoduc le gaz de Leviathan vers l’Europe via Chypre (où des découvertes
gazières importantes ont également été récemment réalisées par le consortium
Noble-Delek) et la Grèce. Ce projet serait un vecteur de rapprochement avec
l’Union Européenne (elle aussi désireuse de réduire sa dépendance envers le gaz
russe) mais serait financièrement plus coûteux que le projet turc et source de tensions
supplémentaires avec la Turquie. Une troisième option, qui serait réalisée avec
le soutien politique, financier et militaire de la Russie, serait de construire
une usine de liquéfaction flottante à proximité des champs de gaz, en vue
d’exporter vers l’Asie (laissant le marché européen à Gazprom). Cette option,
qui ferait de la Méditerranée orientale un véritable « hub gazier »
d’importance mondiale, est logiquement vue d’un très mauvais œil par l’Europe,
la Turquie et les Etats-Unis.
Quel que soit le choix qui sera
finalement fait par le gouvernement de Netanyahu, il sera extrêmement lourd de
conséquences pour l’avenir de la région ainsi que pour la situation
géopolitique d’Israël.
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