Publié par le magazine Ma Yech, août 2016
Le référendum britannique du 23 juin, qui a vu le « Leave » gagner avec près de 52% des voix, est le symptôme d’une révolte des « perdants de la mondialisation » contre les « élites » qui organisent cette mondialisation depuis une trentaine d’années.
Le référendum britannique du 23 juin, qui a vu le « Leave » gagner avec près de 52% des voix, est le symptôme d’une révolte des « perdants de la mondialisation » contre les « élites » qui organisent cette mondialisation depuis une trentaine d’années.
A première vue, il peut sembler
paradoxal que la révolte démarre dans un pays traditionnellement attaché aux
principes du libéralisme économique, et en particulier du libre-échange, et qui
a toujours orienté les politiques européennes depuis son accession à l’UE en
1973 vers la dérégulation des marchés et l’ouverture des flux commerciaux. Mais le paradoxe n’est qu’apparent : le
« Leave » a enregistré ses plus forts scores dans
les régions les plus pauvres, les plus exposées aux ravages de la
mondialisation, les plus touchées par les politiques d’austérité qui ont suivi
le sauvetage des banques depuis six ans, les plus exposées également aux flux
migratoires en provenance de pays à faibles coûts salariaux et aux cultures
parfois très éloignées de la culture d’accueil.
Ces perdants de la mondialisation ont saisi l’occasion unique qui leur
était donnée pour adresser un message sans ambiguïté aux élites qui les
gouvernent : « take back control ». Que ce message, ressenti de
façon semblable par nombre d’électeurs grecs, espagnols, italiens et même
français, se soit fait entendre de façon plus nette et déterminante au
Royaume-Uni, s’explique aisément : le Royaume-Uni, qui a eu la sagesse de
garder le contrôle de sa monnaie, qui est un partenaire commercial important de
l’UE et en particulier de l’Allemagne, par lequel transitent une partie
importante des flux financiers européens, et qui remplit un rôle fondamental au
niveau sécuritaire et géopolitique au sein de l’OTAN et de la stratégie de
défense européenne, a beaucoup plus de cartes en mains pour négocier sa sortie
de l’UE dans de bonnes conditions que la Grèce n’en avait pour éventuellement
négocier sa sortie de la zone euro. Malgré le « non » au référendum
grec de l’été 2015, le premier ministre grec Alexis Tsipras avait dû renoncer à
mettre en œuvre la volonté de changement exprimée par le peuple grec, humilié
et paupérisé par les saignées imposées par ses créanciers et confronté à la
perspective de plusieurs décennies perdues.
Le nouveau premier ministre britannique, Theresa May, s’est engagée au
contraire à mettre en œuvre la volonté exprimée par le peuple britannique, avec
un programme
qui s’annonce à droite sur l’immigration et la sécurité (contrôle des flux
migratoires, intra et extra européens) et à gauche sur la politique en faveur
des plus démunis (contrôle des écarts de salaires, présence de représentants salariaux
au conseil d’administration des entreprises, politique
de relance industrielle en faveur des régions qui ont le plus souffert de
la mondialisation etc.).
Si les conséquences les plus
visibles et les plus immédiates du vote du 23 juin sur les marchés financiers
ont été rapidement jugulées, grâce notamment à l’intervention concertée des
principales Banques Centrales, d’autres effets collatéraux plus discrets et à
plus long terme sont déjà en train de se faire ressentir.
Les premières victimes
collatérales du Brexit sont les banques italiennes, qui, après un début d’année
catastrophique, ont perdu encore près d’un tiers de leur valeur boursière
depuis le 23 juin. Le problème bancaire italien est politiquement explosif car
il souligne une des plus grandes lignes de faille de la zone euro : la
construction d’une union monétaire sans la mise en place préalable d’un
organisme fédéral d’assurance des dépôts et de restructuration des banques en difficulté.
Une « union bancaire » a été mise en place dans le feu de la crise en
2015, avec pour règle la mise à contribution des créanciers non protégés des
banques en faillite, ainsi que des déposants (au-dessus de 100 000 euros).
Or, dans le cas des banques italiennes, 40% des créanciers non protégés se
trouvent être des investisseurs particuliers italiens. Pour Renzi, déjà mis en
difficulté politiquement par la stagnation économique de la péninsule et par la
progression du Mouvement protestataire Cinq Etoiles (qui talonne le Parti
Démocratique dans les sondages), l’intervention de l’union bancaire européenne
et la mise à contribution des ménages italiens dans la faillite des banques
pourraient être le coup de grâce. C’est pourquoi, il tente de convaincre les
leaders européens de lui laisser la possibilité d’injecter 40 milliards d’euros
pour recapitaliser son système bancaire sans imposer de pertes aux déposants.
Devant
le refus des leaders allemands, seule la Banque Monte Paschi a pour l’instant été recapitalisée dans l’urgence via la structure de défaisance Atlante, une opération
de colmatage qui ne permettra d’épurer qu’une part très marginale des 330
milliards d'euros de créances douteuses présentes dans le système bancaire italien.
Mais le Brexit va également rendre
plus aiguë encore la crise de la gouvernance européenne, qui a d’ailleurs été l’une
des raisons majeures du vote pour le « Leave » le 23 juin. Du
fait de leur lenteur à établir un diagnostic correct de la crise de la zone
euro et à y apporter les remèdes adaptés, les institutions européennes se
trouvent prises à présent dans un dilemme insoluble. D’un côté, la résolution
de la crise économique européenne passerait théoriquement par des mécanismes de
solidarité et de gouvernance plus démocratique entre les membres de l’union
monétaire (budget et parlement de la zone euro notamment). D’un autre côté,
l’incapacité persistante des institutions supranationales européennes à apporter
plein emploi et sécurité aux citoyens européens, conjuguée à l’impossibilité
d’une sanction démocratique des politiques en place, a creusé un fossé entre
les peuples européens et leurs élites et provoqué l’ascension de partis
anti-establishment, anti-UE et anti-immigration
dans de nombreux pays (France, Autriche, Pays-Bas en particulier). Le vote britannique du 23 juin se présente à
la fois comme un emblème et un catalyseur possible de cette dynamique
d’éclatement. Dans ce contexte de défiance généralisée vis-à-vis des
institutions européennes, il est beaucoup plus difficile de faire accepter politiquement
les mécanismes de solidarité souhaités en particulier par François Hollande et
Matteo Renzi. Au contraire, comme le
montrent la ratification dans la douleur de la loi travail en France et le
lancement par la Commission Européenne d’un processus de sanctions contre les
dérapages budgétaires et portugais, qui ne sera finalement pas suivi d’effet,
c’est la vision disciplinaire portée par les conservateurs allemands depuis
2010, fondée notamment sur les « réformes structurelles »
(libéralisation du marché du travail en particulier) et le respect des règles fiscales,
qui est pour le moment en train de s’imposer. Cette gouvernance disciplinaire ne
peut en retour que grever la timide convalescence de l’économie européenne,
accentuer le discrédit des élites européennes et renforcer l’audience des
partis anti-système.
Dans ce contexte, le référendum
sur la réforme constitutionnelle italienne d’octobre 2016, dont
l’issue très incertaine scellera le sort du gouvernement Renzi, l’élection
présidentielle autrichienne de novembre et les élections générales
néerlandaises et françaises du printemps 2017, nous diront si le
Brexit a renforcé la dynamique d’implosion non coopérative de l'UE ou au contraire provoqué un sursaut salutaire parmi les élites européennes qui pourrait permettre d'organiser le démantèlement concerté de la zone euro et de l'espace Schengen et de sauver certains acquis du processus d’intégration
européenne engagé depuis une soixantaine d’années.
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