Publié dans le magazine Ma Yesh, octobre 2016
Le 16 septembre, le ministère de
la justice américain réclamait à la Deutsche Bank 14 milliards
de dollars pour solder des
manquements supposés sur le marché hypothécaire américain. Même si le montant
réel qui sera payé aux autorités américaines sera vraisemblablement beaucoup
plus bas que la somme réclamée par les autorités américaines, cette nouvelle
amende potentielle pourrait nécessiter la recapitalisation, le rachat ou même
la nationalisation par l’Etat allemand de la banque, qui n’avait provisionné
que 5 milliards de dollars dans ses comptes pour les nombreux litiges auxquels
elle a à faire face. La banque perdait ainsi plus de 8% en bourse après cette
annonce.
Cette nouvelle chute boursière s’ajoute
aux déboires rencontrés par la banque allemande depuis un an. La Deutsche Bank
avait perdu environ la moitié de sa capitalisation boursière depuis un an, suite
à l’annonce d’une perte
de près de 7 milliards d’euros sur l’exercice 2015.
Cette débâcle nous enseigne plusieurs
leçons importantes sur la défaillance du modèle des banques « universelles »
mais aussi sur les contradictions de notre classe politique dans ses réponses à
la crise.
Le premier enseignement concerne
le problème des mauvaises mesures de performance des banques. A la suite de
l’annonce concernant Deutsche Bank, les cours d’autres mégabanques européennes
comme UBS, Crédit Suisse et Royal Bank of Scotland s’effondraient également, du
fait de la conduite similaire de toutes ces banques dans les années qui ont
précédé la crise des subprimes. De fait, la plupart des mégabanques poursuivent
le
même objectif de maximisation d’un critère biaisé de performance appelé
« la rentabilité des fonds propres ». C’est la poursuite de cet
objectif qui a conduit les mégabanques mondiales à privilégier toutes en même
temps les activités de titrisation lors de la bulle immobilière américaine et
les mégabanques françaises et allemandes à alimenter les bulles immobilières
dans les pays périphériques de la zone euro jusqu’à la crise de 2008.
Le second enseignement concerne
le problème des interconnexions et des incitations perverses qu’elles génèrent.
Les déboires de la Deutsche Bank génèrent un problème « systémique » pour
l’ensemble du système bancaire du fait de la densité des interconnexions entre
banques d’investissement. Les mégabanques ont souvent le même portefeuille
d’activités de marché, nouent entre elles des contrats dérivés qui les exposent
au risque de contrepartie, se prêtent à court terme sur le marché
interbancaire. Ainsi, les problèmes d’une seule grande banque
« systémique » paralysent l’ensemble des banques d’investissement, et
par extension, l’intégrité des systèmes de paiement et de dépôt, du fait de
l’émergence du modèle des « banques universelles » depuis la fin des
années 90 avec la naissance du géant bancaire Citigroup et l’abrogation par
Bill Clinton du Glass-Steagall Act. Cette situation donne naissance à un
problème dit « d’aléa moral » : les créanciers des mégabanques
n’ont aucune incitation à effectuer un travail de contrôle des risques pris par
les banques car ils savent qu’il est peu probable que les gouvernements
laisseront une banque systémique faire faillite. Cet aléa moral s’est renforcé
depuis qu’ont pu être observées les conséquences de la chute de la banque
Lehman Brothers en septembre 2008. Hormis le cas de l’Islande, qui a laissé ses
banques faire défaut, les autres pays ont systématiquement garanti le passif de
leurs banques, ce qui a causé partout une explosion de la dette publique et rendu
parfois inévitable le recours aux politiques d’austérité. Les nouvelles réglementations européennes
visant à faire perdre des pertes aux créanciers à la suite des faillites
bancaires ont été appliquées dans le cas de petites banques chypriotes ou
italiennes mais leur application est peu crédible dans le cas d’une banque
comme la Deutsche Bank. Cette situation risque
d’ailleurs de mettre l’Allemagne en porte-à-faux par rapport à son attitude
inflexible sur le dossier du sauvetage des banques italiennes.
Le troisième enseignement de la crise
frappant la Deutsche Bank concerne le problème de l’opacité et de la difficulté
de manager des activités aussi diverses que la banque privée, la gestion
d’actifs, la tenue de marché, le courtage, le conseil, la banque de détail… Les
logiques et horizons de management sous-jacents à ces différentes activités
sont foncièrement différents. Les associer sous une même entité avec des
contraintes de rentabilité et de risque globales ne peut que conduire à
délaisser les activités traditionnelles de prêt aux entreprises et aux
particuliers au profit des activités de marché lors des phases d’euphorie
financière puis à assécher brutalement le crédit à l’économie réelle lors des
épisodes de panique. L’association de ces activités sous une même ombrelle pose
également de sérieux problèmes d’éthique et de conflits d’intérêt, comme l’ont
révélé les différents scandales faisant intervenir la banque Goldman Sachs
(« Abacus », dette grecque etc.). Enfin, le mélange des activités
crée un problème d’opacité et de confiance. Les
propos rassurants des responsables politiques et des dirigeants des banques sur
« leur solidité » échouent à rassurer les actionnaires des
banques, qui ne comprennent plus les sources de risque et de performances des
conglomérats dans lesquels ils investissent. Les managers des mégabanques
semblent également dépassés par la complexité des risques qu’ils doivent gérer.
Le quatrième enseignement de la
crise Deutsche Bank est politique. L’annonce du 16 septembre n’est que la suite
d’un mouvement politique global tendant vers plus de régulations, de
surveillance et d’intransigeance à l’égard des banques (on
estime à 160 milliards de dollars les amendes payées par les mégabanques depuis
2010). Ce mouvement répond à une pression citoyenne poussant les politiques
et les régulateurs à sanctionner les dérives qui ont été à l’origine de la plus
grande crise économique depuis 1929, une crise dont l’économie mondiale n’est
toujours par remise huit ans après. Cette
pression citoyenne s’incarne à travers des mouvements tels que Les Indignés,
Occupy Wall Street, Nuit Debout, mais aussi à travers la poussée mondiale de
partis anti-establishment proposant une refondation radicale du système
économique et financier, dont la réforme bancaire constitue souvent la pierre
angulaire. Le paradoxe de la situation
est que ces mesures punitives interviennent, notamment en Europe, dans un
contexte d’inflation trop basse, de contraction du crédit et de chômage de
masse, une situation que les mesures intransigeantes prises à l’encontre des
banques contribuent à aggraver en fragilisant les bilans bancaires et en
décourageant encore davantage la prise de risques. D’autre part, la politique
de taux zéro des banques centrales et les taux négatifs observés sur les dettes
européennes les plus sûres, qui sont la conséquence de la dépression de
l’économie mondiale et des cures d’austérité que s’infligent inutilement les
gouvernements des pays avancés, sont également directement responsables des
déboires des banques, dont l’activité traditionnelle dite de
« transformation » consiste à emprunter à court terme et à prêter à
long terme, en exploitant la différence entre taux long et taux courts.
Au final, nous voyons à travers
l’épisode Deutsche Bank, l’ensemble des failles du modèle bancaire qui a émergé
à partir des années 90 mais aussi les contradictions d’une classe politique
incapable de formuler une solution cohérente à un problème qu’elle a
directement contribué à créer.
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