Publié par le magazine Ma Yech, décembre 2016
Donald Trump a créé la surprise
en devenant le 45ème président élu des Etats-Unis. Si sa campagne
s’est centrée avant tout sur les thématiques identitaires, sécuritaires et
culturelles, Trump a su exploiter le sentiment de déclassement éprouvé par une
partie des classes moyennes américaines, dont le
revenu n’a pas augmenté en termes réels depuis une quarantaine d’années, alors
même que celui des 1% plus riches s’est fortement élevé. Il a également
surfé sur le double ressentiment identitaire et social des ouvriers blancs habitant
les anciennes terres industrielles particulièrement touchées par les
délocalisations vers les pays à bas coût. Le basculement dans
le camp républicain d’un grand nombre d’Etats de la « Rust Belt »
(Indiana, Pennsylvanie, Ohio, Wisconsin, Michigan), ancien bastions de l’acier
et du charbon américains, aura scellé la victoire électorale de Trump.
Le logiciel économique de Donald
Trump est tout à fait inédit, combinant des éléments traditionnels de l’offre
républicaine, comme les baisses d’impôt et la dérégulation, et des thèmes
traditionnellement portés par la gauche voire l’extrême gauche, comme les
dépenses d’infrastructures et la critique du libre-échange.
Commençons par le programme de
baisses d’impôt. Celui-ci consiste en un projet de réduction des taux marginaux
d’imposition sur les ménages et les entreprises, de suppression de certains
impôts et de création de nouvelles déductions fiscales. Selon le Tax
Policy Center, ce programme ambitieux se traduira par une baisse de 9 500
milliards des rentrées fiscales sur la décennie (avant prise en compte des
effets macroéconomiques du plan), 47%
de ce montant allant aux 1% les plus aisés. Des déductions fiscales seront
offertes aux acteurs privés participant au financement d’infrastructures, dont l’impact
sur le budget devrait s’élever à plus de 130 milliards de dollars sur la
décennie qui vient (l’investissement prévu en infrastructures est compris entre
500 et 1000 milliards, les besoins estimés
étant de 3600 milliards de dollars). Le
fait que ce plan d’infrastructures soit financé par le secteur privé plutôt que
par l’argent public (comme le voulait Clinton) aura des impacts très
importants : seuls les projets satisfaisant certains critères de
rentabilité financière verront le jour, aux dépens d’autres projets ne
rapportant pas de revenus. Les régions les plus riches et peu peuplées seront
favorisées aux dépens des régions les moins densément peuplées et les plus
pauvres. Ce plan donnera lieu à des effets d’aubaine : certains projets
donnant droit à des déductions fiscales prendront la place d’autres projets qui
auraient été financés en l’absence de ce plan.
Enfin, il n’y aura aucune garantie que le plan permettra le financement
de projets qui n’auraient pas été financés autrement. Par conséquent, l’impact
de ce plan en termes de création d’emplois nouveaux est incertain.
Le rapport de force, au sein du
parti républicain, entre « faucons budgétaires », attachés à la
maîtrise de la dette publique, et keynésiens, plus sensibles au problème des
emplois et de la croissance, déterminera si ces baisses d’impôt seront
financées par des coupes budgétaires ou par l’augmentation de la dette
publique. Si les « gardiens du temple budgétaire» (dont Paul Ryan, le
speaker républicain à la Chambre des Représentants, est l’emblème) prennent le
dessus, Trump
sera probablement contraint de financer les baisses d’impôt sur les hauts
revenus par des coupes sur des postes de dépenses sociales sensibles comme Medicare
et les retraites. Dans ce cas, l’impact des baisses d’impôt sur la
croissance sera modeste voire négatif et cette politique aggravera en outre les
fractures sociales et régionales ouvertes par la politique très inégalitaire
des trois dernières décennies.
Si, au contraire, les faucons
budgétaires du parti républicain sont mis en minorité, le programme de baisses
d’impôt de Trump deviendrait un programme de relance fiscale par les baisses
d’impôt, en tout point semblable à celui initié par Ronald Reagan dans les
années 80. L’impact sur la croissance sera alors positif, quoique surtout
favorable aux plus hauts revenus. Dans le contexte de quasi-plein emploi aux
Etats-Unis, ce programme de relance se traduira en outre par un regain
d’inflation et une hausse des taux de la Fed, qui viendra limiter ses effets favorables
sur la croissance. Le
marché obligataire a d’ailleurs incorporé ce scénario immédiatement après la
victoire de Trump avec une augmentation des taux à 10 ans de 0.5% ainsi qu’une
augmentation significative du taux d’inflation anticipé aux Etats-Unis.
A ce programme de baisse
d’impôts, Trump ajoute un autre thème traditionnel du parti républicain :
la lutte contre les réglementations de tous ordres qui « entravent la
création d’emplois et l’investissement ». Trump veut en particulier
revenir sur les régulations concernant le climat (Clean Energy Act, accord de
Paris), avec pour ambition de renforcer le rôle déjà croissant des Etats-Unis
dans la production d’énergies fossiles (gaz, pétrole et charbon), un
thème qui a particulièrement séduit les régions ayant profité du récent boom du
pétrole et du gaz de schiste (Ohio, Texas, Louisiane, Wyoming, Idaho, et Virginie
Occidentale). Trump affirme également vouloir abroger au moins
partiellement la réforme d’assurance maladie mise en œuvre par Obama (Obamacare),
qui a permis à près de 10 millions d’Américains de contracter pour la première
fois une assurance maladie. Les nominations d’ex banquiers à certains postes
clé laissent enfin présager un retour en arrière sur les régulations
financières de l’ère Obama destinées à prévenir les excès de la sphère
financière (Dodd-Frank Act en particulier). La
hausse du marché boursier américain post-élections a ainsi été portée par le
secteur des small caps (souffrant le plus des régulations), par le secteur
énergétique et par le secteur bancaire, qui enregistrait une hausse de 10% une
semaine après l’élection de Trump.
Un autre thème de campagne, qui a
mis Trump en porte à faux avec les cadres de son parti mais en résonance avec
les préoccupations des cols bleus de la Rust Belt, a été celui du
libre-échange. Trump, dans sa campagne, a en effet désigné les accords de
libre-échange avec le Mexique et les « pratiques commerciales déloyales »
chinoises comme les principaux responsables de la perte d’emplois industriels
américains. Il a promis de renégocier les accords commerciaux dans un sens
favorable à l’emploi aux Etats-Unis. Il a également pris l’engagement de lutter
contre l’immigration mexicaine, présentée comme une menace pour les
travailleurs américains. Cette orientation est potentiellement très coûteuse
pour la croissance. Certes, les nouveaux accords de libre-échange tels que le
Traité Transatlantique ou le Traité Transpacifique, qui étaient en cours de
négociation avant l’élection de Trump (et qui seront maintenant enterrés) auraient
eu des répercussions économiques probablement plus modestes que ne le
prétendent leurs promoteurs. Cependant, renier les accords existants de façon
brutale et unilatérale comme le souhaite Trump pourrait mener à un renchérissement
du coût des importations, à des mesures de rétorsion commerciales, à une vague
de mesures protectionnistes dans tous les pays, mais aussi à des tensions
diplomatiques et même à une escalade militaire en particulier avec la Chine...
D’ailleurs, la hausse du dollar et la baisse du peso mexicain qui ont
accompagné l’élection de Trump constituent d’ores et déjà un handicap pour les
exportations américaines et un soutien pour les importations en provenance des
autres pays.
Pour
l’instant, les marchés boursiers ont décidé, après un bref épisode de panique
durant la nuit électorale, d’ignorer un certain nombre de risques concernant la
présidence Trump (guerres commerciales, coupes drastiques de dépenses
publiques sensibles, blocages institutionnels et politiques, scandales entourant
la personnalité et le style de leadership de Trump, crise des relations
transatlantiques…) et de se focaliser sur les facteurs positifs pour la
croissance des bénéfices des entreprises à court terme (plan d’infrastructures,
baisses d’impôts, dérégulations…). L’avenir dira s’ils ont eu raison. En ce qui
concerne les classes moyennes, la prédiction est plus aisée : elles
devront attendre quatre ou huit ans de plus avant d’espérer voir leur condition
entamer un rattrapage avec celle des plus hauts aisés…
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