Publié par le magazine Ma Yech, janvier 2017
Le 20 décembre dernier, pour la
première fois depuis février 2002, l’euro est passé sous la barre des 4
shekels, perdant près de 20% de sa valeur en shekels depuis décembre 2014.
Plusieurs évolutions de fond
expliquent cette dynamique.
La première concerne la panne de
l’économie européenne par rapport aux autres grands pays développés. La zone
euro est la lanterne rouge de la croissance mondiale depuis la crise de 2008,
crise dont elle n’a toujours pas tourné la page. Son taux de chômage est
toujours de plus de deux points supérieur à son niveau d’avant crise. Son PIB
réel par tête est toujours à un niveau inférieur à celui de 2008. Dans le même
temps, le Royaume-Uni, le Japon et les Etats-Unis ont tous vu leur taux de
chômage repasser sous son niveau de 2008 et leur revenu réel par tête s’élever
entre 2008 et 2015, à un rythme cependant très inférieur au taux de croissance
d’avant crise.
Nous
avons eu l’occasion précédemment d’expliquer les origines de cette panne de
la zone euro. Il faut les rechercher dans les défauts de construction de la
monnaie unique, ainsi que dans la mauvaise gouvernance économique de la zone
euro depuis le début de la crise souveraine et bancaire en 2010. Face à des
politiques économiques récessionnistes et déflationnistes menées par les
gouvernements de la zone euro depuis 2010, Mario Draghi, le gouverneur de la
BCE a entrepris à partir de la fin 2014 un programme ambitieux d’assouplissement
monétaire : le bilan de la BCE est passé en deux ans de 20% du PIB de la
zone euro à 35% aujourd’hui, tandis que son taux directeur est descendu à 0.25%
et le taux de dépôt à -0.4%. Dans le même temps, au vu de la santé retrouvée de
l’économie américaine, la Fed a laissé depuis la fin 2014 son bilan inchangé à
25% du PIB et a augmenté à deux reprises ses taux dans les douze derniers mois,
affichant son intention de poursuivre cette normalisation au cours de l’année
2017. Ces trajectoires inverses de politique monétaire ont eu pour effet de
dévaluer l’euro de 20% par rapport au dollar depuis l’été 2014.
La seconde raison de la
dévaluation de l’euro par rapport au shekel tient à la santé de l’économie
israélienne depuis 2007. Le PIB réel par tête israélien a augmenté de 13%
depuis le début de la crise, l’un des plus forts taux de croissance au sein des
pays de l’OCDE. Le taux de chômage israélien s’affiche à 5.2%, quatre points de
moins qu’en 2008. Malgré la vigueur de l’économie israélienne et la faiblesse
du taux de chômage, l’inflation est négative depuis deux ans. Cette déflation
ne trouve pas son origine, comme en zone euro, dans la faiblesse de la demande,
mais essentiellement dans la politique du gouvernement visant à introduire plus
de compétition dans des secteurs auparavant peu ouverts à la concurrence, comme
ceux des télécoms et de la distribution. C’est donc
plutôt une bonne nouvelle pour un pays qui a connu en 2011 une révolte sociale
de grande ampleur contre la cherté du coût de la vie. Cette déflation
guidée par l’offre ne constitue donc pas une menace pour l’économie
israélienne, comme c’est le cas en zone euro et au Japon, où déflation et
manque de demande sont des phénomènes corrélés qui s’auto-entretiennent. En
Israël, c’est bien la demande des ménages, stimulée par la hausse des salaires et
la baisse des prix, qui tire la croissance ces deux dernières années.
La santé intrinsèque de l’économie
israélienne, combinée aux découvertes des champs de Tamar et de Leviathan, qui
vont faire d’Israël un grand pays exportateur de gaz, expliquent pourquoi le
shekel s’est maintenu par rapport au dollar, alors que le dollar s’appréciait
par rapport à la plupart des devises depuis la politique de resserrement
monétaire de la Fed. La Banque d’Israël poursuit même une politique de taux
très bas ainsi qu’une stratégie d’intervention active sur les marchés de change
dans le but de contenir l’appréciation du shekel, qui endommage la
compétitivité des exportateurs israéliens, en particulier dans le secteur des
high techs. On estime les réserves de change d’Israël à près de 100 milliards
de dollars, les achats de devises depuis 2008 s’élevant à plus de 60 milliards
de dollars. Ce sont des chiffres très importants rapportés à la taille de
l’économie israélienne (autour de 300 milliards de dollars de PIB).
Jusqu’où peut aller la baisse de
l’euro face au shekel ? Cela dépendra l’évolution du contexte européen à
moyen et long terme.
Il y a lieu d’être plutôt
pessimiste sur le moyen terme pour plusieurs raisons. D’une part, la
baisse de l’euro aide davantage les économies bénéficiant d’une forte industrie
comme l’Allemagne que les économies de services comme la France ou l’Espagne.
Or, ce sont ces dernières qui souffrent aujourd’hui le plus de la stagnation
économique et du chômage de masse. D’autre part, la baisse de l’euro n’aide en
rien à corriger les écarts de compétitivité internes à la zone euro, entre
l’Allemagne et ses voisins. Or, la majorité des échanges des pays de la zone
euro se déroulant à l’intérieur de l’espace monétaire, ces écarts de
compétitivité sont cruciaux. En outre, il n’y quasiment aucun espoir de voir
s’infléchir les politiques européennes actuelles avant les élections fédérales
allemandes, qui devraient se tenir en octobre 2017. Merkel aurait trop à perdre
électoralement à proposer un changement de cap dans la gouvernance économique
de la zone euro avant ces élections qui verront la probable poussée du
mouvement anti-euro et anti-immigration AfD. Enfin, la hausse des taux
d’intérêt à long terme importée des Etats-Unis risque de peser sur la
croissance européenne, dans un contexte de croissance et d’inflation toujours
très basses. Pour toutes ces raisons, l’économie européenne devrait continuer à
souffrir et la politique monétaire de la BCE à rester ultra-accommodante en
2017. Enfin, l’incertitude liée aux résultats des élections aux Pays-Bas (mars
2017), en France (mai 2017) et en Allemagne devrait également peser à la baisse
sur le cours de l’euro, en particulier si un parti anti-establishment venait à
l’emporter ou à empêcher la formation d’une coalition pro statu quo majoritaire
dans l’un de ces pays.
A plus long terme, on peut émettre des
réserves sur la viabilité politique de la zone euro. En effet, les concessions
minimales auxquelles doit consentir l’Allemagne pour faire fonctionner cette
zone et contenir la progression des partis anti-système dans les autres pays
(mutualisation des dettes souveraines et bancaires, assouplissement des règles
budgétaires, inflation salariale en Allemagne, plan de relance en Allemagne et
dans le reste de la zone…) semblent nettement supérieures à ce à quoi est prête
aujourd’hui l’opinion publique allemande.
Dans ce contexte, les résidents
israéliens détenteurs de patrimoine et bénéficiaires de revenus libellés en
euros se doivent d’adopter des politiques de couverture particulièrement prudentes.
Si la tendance de baisse de l’euro face au shekel se poursuit (ce qui, au vu
des éléments précédents, nous semble un scénario plausible voire probable), il
devient très dangereux d’attendre une hypothétique « remontée de l’euro »
pour convertir son épargne et ses revenus européens en shekels. Il faut parfois
avoir la sagesse d’accepter une perte modeste pour se préserver d’une perte beaucoup
plus importante à venir…
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