vendredi 8 juillet 2016

Investissements chinois à l'étranger: une Chine conquérante face à une Europe angélique

Publié dans le magazine Ma Yesh, juillet 2016

 De janvier à avril 2016, les investissements directs de la Chine à l’étranger ont dépassé en à peine quatre mois le précédent record de 119 milliards de dollars atteint sur l’ensemble de l’année 2015. L’acquisition en février 2016 du géant suisse de l’agrochimie Syngenta par l’entreprise China National Chemical pour la somme de 46 milliards de dollars marque une nouvelle étape dans la stratégie chinoise d’acquisitions.

Dans les années 2000, les investissements chinois à l’étranger s’étaient avant tout concentrés sur les pays émergents et sur les secteurs minier, agricole et énergétique. L’objectif était de sécuriser l’approvisionnement de l’Empire du Milieu en matières premières stratégiques pour son développement. La décrue des prix des matières premières, la mutation de l’économie chinoise vers le secteur de la consommation domestique et des services, la nécessité d’augmenter le niveau de gamme de l’industrie face à la pression sur les salaires et la concurrence de nouveaux pays à plus faible coût salarial, ont profondément réorienté la stratégie d’investissement de la Chine à l’étranger. Les acquisitions récentes se concentrent sur les pays industrialisés et sur les secteurs du tourisme, des biens de consommation et des high techs. Les dernières opérations chinoises en Israël témoignent de cette tendance : l’achat de la compagnie israélienne Lumenis, leader mondial dans la médecine esthétique au laser, par le fonds chinois XIO en 2015 (dans un deal valorisant l’entreprise à 510 millions de dollars), la prise de contrôle en 2016 de la marque Ahava par le fonds d’investissement géant Fosun (dans un deal évaluant la célèbre compagnie de cosmétiques à 77 millions de dollars), et les nombreux partenariats de R&D sino-israéliens, illustrent la volonté de la Chine de renforcer sa présence dans le secteur des biens de consommation haut de gamme et des technologies de pointe.

Malgré son importance dans le commerce mondial des marchandises, la Chine reste un acteur relativement marginal des investissements transnationaux (seulement 3.5% du total mondial). Ainsi, le stock d’investissement direct de la Chine à l’étranger s’élève à seulement 7% du PIB chinois contre 38% pour les Etats-Unis, 20% pour le Japon, 47% pour l’Allemagne. Mais l’objectif affiché du gouvernement chinois est de faire de la Chine un des plus importants investisseurs étrangers à l’horizon 2020 : les projets “Made in China 2025” et “Internet Plus” se présentent comme des listes de shopping destinées à aider la Chine à acquérir les technologies clé et brevets nécessaires à sa montée en gamme industrielle. L’ambition de Pékin est de produire à terme des champions mondiaux de la high tech tout en protégeant les acteurs chinois d’éventuelles acquisitions étrangères et le marché intérieur chinois de la compétition internationale.

Plusieurs  obstacles se dressent cependant sur la route du Parti dans l’atteinte de cet objectif. Le premier est intérieur : les entreprises publiques chinoises sont déjà exposées à un problème de surcapacité et de surendettement depuis l’éclatement de la bulle immobilière chinoise au début de la décennie. Leur capacité à s’endetter davantage pour réaliser des investissements risqués à l’étranger est donc nécessairement limitée. Cette contrainte est d’autant plus forte dans un contexte de fuite massive des capitaux étrangers qui mobilise les réserves de change titanesques du pays au service de la défense du yuan. Un second obstacle tient à la volonté des autorités chinoises de limiter les sorties de capitaux de la part de sa nouvelle classe moyenne supérieure partie à l’assaut des biens immobiliers australiens, européens et nord-américains, pour des motifs parfois liés à l’évasion fiscale et au blanchiment d’argent. Un dernier frein provient de la résistance des nations avancées face à la stratégie d’acquisition chinoise. La présence croissante de l’Empire du Milieu dans les flux d’investissement internationaux suscite en effet de nombreuses interrogations au sein du monde occidental. La pression exercée sur les prix immobiliers par les investisseurs chinois, qui est ressentie de manière particulièrement aigüe dans des villes comme Vancouver, n’est qu’une partie du problème. Des parlementaires américains ont récemment manifesté leur inquiétude concernant les velléités d’acquisition chinoises dans des secteurs à très haute valeur ajoutée ou stratégiquement sensibles comme les semi-conducteurs, l’aérospatial et les technologies de la défense. Ainsi, deux projets d’acquisition chinois aux Etats-Unis ont avorté pour des raisons liées à la protection des intérêts nationaux:   Lumileds, une joint-venture entre la marque néerlandaise Philips et l’entreprise américaine Agilent Technology, spécialisée dans les technologies d’éclairage automobile, et Fairchild, une entreprise américaine de semi-conducteurs, ont récemment repoussé les offres pourtant très généreuses de deux investisseurs chinois. Le fait que 70% des acquisitions chinoises à l’étranger soient le fait d’entreprises détenues par l’Etat renforce évidemment les inquiétudes des pays cibles. Ce type d’acquéreurs bénéficie en effet de facilités de financement et de subventions publiques qui sont une forme de concurrence déloyale vis-à-vis des autres acheteurs potentiels. D’autre part, la stratégie d’acquisition de ces acteurs est évidemment dictée par des considérations stratégiques nationales et non par le seul objectif de rentabilité financière.

Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, l’Europe se distingue par son angélisme et son manque de clairvoyance. Contrairement aux Etats-Unis, au Canada et à l’Australie, les nations européennes, qui ont reçu en 2015 des investissements directs de 20 milliards d’euros de la part de la Chine (ce chiffre était de 2 milliards seulement en 2010 et de 14 milliards en 2014),  ne se sont pas dotées d’agence de surveillance des investissements étrangers. Il a fallu attendre l’annonce de l’offre du groupe chinois Midea sur le fabricant allemand de robots industriels Kuka (intervenant notamment dans la fabrication de l’hélicoptère de combat Eurofighter) pour qu’un débat s’amorce sur les réponses à adopter face à la stratégie d’acquisition chinoise. Mais l’Europe est la première responsable de ses déboires. Partout où elle se retire, la Chine prend la place qu’elle laisse vacante. Les investisseurs chinois sont en effet venus pallier la réticence de la France et de l’Allemagne à investir massivement dans le redressement des économies périphériques (Espagne, Italie, Portugal, Grèce, Irlande), confrontées depuis 2008 à une fuite massive des capitaux vers les pays cœur. En 2015, les pays périphériques  ont reçu pour la première fois près de la moitié de tous les investissements chinois en Europe. L’acquisition de l’italien Pirelli par ChemChina, de l’Atletico Madrid par Wanda, de la banque d’investissement du groupe portugais Banco Espirito Santo par Haitong, du port grec du Pirée par le transporteur chinois COSCO, en sont des exemples emblématiques. Ce phénomène ne concerne pas seulement l’Europe du Sud. La stratégie d’implantation de la Chine en Israël bénéficie également de la complaisance des autorités européennes à l’égard du mouvement BDS, dont l’emprise est grandissante sur les entreprises européennes.


Face aux ambitions chinoises, il est urgent d’élaborer une stratégie coordonnée imposant la transparence sur les intentions de l’acquéreur ainsi que la réciprocité sur les règles d’acquisition et d’accès aux marchés domestiques.

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