dimanche 4 septembre 2016

La dette écologique : comment arrêter de vivre à crédit

Publié par le magazine Ma Yech, septembre 2016

Cette année, à partir du 8 août, l’Humanité a commencé, selon la méthodologie conçue par les chercheurs du Global Footprint Network, à creuser sa « dette écologique ».

Sur quoi se fonde ce calcul ?

Tous les aliments que nous consommons et les déchets biologiques que nous émettons (résidus de récoltes, dioxide de carbone…) sont, pour les premiers, produits,  et pour les second, éliminés, à l’aide de terres « biologiquement productives » (terres cultivables, forêts, eaux de pêche…). Par exemple, les terres cultivables permettent de produire les substances végétales nécessaires à l’alimentation humaine, mais aussi de nourrir le bétail ; les forêts capturent le dioxide de carbone émis par les activités humaines ainsi que par le bétail etc. Chaque année, il est possible d’estimer « l’empreinte écologique » de l’Humanité, c’est-à-dire la quantité de terres productives nécessaires pour produire de façon soutenable les ressources que nous consommons (aliments végétaux, bois, viande, poissons…) et pour absorber les déchets biologiques que nous émettons.  Lorsque cette quantité dépasse la « capacité biologique », c’est-à-dire les ressources de terres productives réellement disponibles, alors, nous réalisons ce que les chercheurs appellent un « déficit écologique ». Si la notion d’«empreinte écologique » permet d’agréger sous forme d’une unique mesure exprimée en hectares des impacts aussi disparates que la ponction de certaines ressources renouvelables et les émissions de gaz à effet de serre, elle est fondamentalement inadéquate pour prendre en compte d’autres types d’impacts écologiques comme ceux portant sur l’eau et les déchets toxiques, qui ne sont pas mesurables sous la même forme. De façon générale, un déficit écologique peut correspondre à l’accumulation de déchets dans l’environnement ou encore à la surexploitation des ressources menant à la dégradation (parfois irréversible) des capacités biologiques (chute des rendements des terres cultivables, du niveau des nappes phréatiques, des stocks de poissons, des espaces forestiers…).

Pour simplifier et représenter de façon plus concrète la notion de « déficit écologique », les experts du Global Footprint Network ont défini le « Earth Overshoot Day », le jour de l’année à partir duquel l’Humanité a achevé de consommer tous les services que la planète est capable de générer de façon soutenable en une année : tous les jours suivants, l’Humanité vit donc à « crédit », c’est-à-dire aux dépens des générations futures. En 1960, l’Humanité n’utilisait environ que ¾ de la capacité biologique annuelle disponible. C’est dans les années 70 que le développement économique et démographique dans les pays émergents et l’évolution des habitudes de consommation ont conduit à une situation de déficit écologique. Depuis lors, chaque année, le « Earth Overshoot Day » avance dans le calendrier, reflétant la façon dont l’humanité creuse sa « dette écologique ». En 1993, ce jour est tombé le 21 octobre. En 2003, il est tombé le 22 septembre et en 2016, le 8 août. Les experts relèvent cependant une note positive : alors que le « Earth Overshoot Day » avançait de trois jours par an en moyenne depuis les années 70, il n’avance plus que d’un jour par an en moyenne depuis 5 ans. Ainsi, si nous continuons à creuser notre dette écologique, nous le faisons à un rythme de moins en moins rapide.

Autre observation d’importance : l’empreinte écologique mesurée en hectares par tête est nettement supérieure dans les pays développés (8.2 hectares par tête aux Etats-Unis, 6.2 hectares par tête en Israël, 5.1 hectares par tête en France) que dans les pays en voie de développement (3.2 hectares par tête en Chine, 1.2 hectares par tête en Inde).  Il est possible de mesurer, nation par nation, le déficit écologique, défini comme le solde entre la capacité biologique (terres productives disponibles au niveau national) et l’empreinte écologique (terres nécessaires pour supporter la consommation et les déchets réalisés annuellement au niveau national). En ce qui concerne Israël, le déficit écologique est de près de 6 hectares par an par habitant, supérieur à celui des Etats-Unis (4.5 hectares par an par habitant) et de la France (2 hectares par habitant). Toutefois, ces données datent de 2012, avant donc la mutation de l’économie israélienne, qui a vu le remplacement progressif du pétrole et du charbon par le gaz naturel du champ israélien de Tamar à partir de 2012. Le déficit écologique d’une nation est un indicateur de sa vulnérabilité économique latente par rapport au scénario de plus en plus probable où les coûts associés aux impacts écologiques deviendraient internalisés par les acteurs économiques. La COP21, qui s’est tenue à Paris fin 2015, a en effet marqué un engagement global des grands acteurs mondiaux à contenir l’augmentation de la température mondiale à moins de 2°C d’ici la fin du siècle, un objectif qui semble de plus en plus hors de portée.

Quatre axes complémentaires d’action pourraient permettre à l’Humanité de retrouver un mode de développement soutenable sur le long terme.

Premièrement, il est urgent de réviser profondément nos modes de consommation. Au niveau alimentaire, il convient de réduire la consommation de viande, dont l’empreinte écologique est considérable, à la fois en termes d’utilisation des terres, de consommation d’eau et d’émission de gaz à effets de serre. Des investissements majeurs doivent être réalisés pour promouvoir l’économie circulaire, et pour repenser l’habitat et le transport afin d’en réduire l’empreinte écologique.

Le second axe consiste à réformer en profondeur nos modes de production. En ce qui concerne la production d’énergie, les derniers développements technologiques permettent d’entrevoir dès 2020 la possibilité non seulement de produire de l’énergie solaire et éolienne à prix accessible mais également de maîtriser le problème de l’intermittence de ces énergies grâce à des systèmes fiables et low cost de stockage d’électricité. Concernant la production alimentaire et la préservation des écosystèmes, il nous faut engager la révolution « doublement verte », qui combine les apports de la recherche agronomique et de l'agro-écologie pour non seulement obtenir des rendements agricoles élevés, mais assurer également leur pérennité.

Troisièmement, il nous faudra fournir aux acteurs économiques les signaux et incitations monétaires adaptés pour financer la transition écologique de la planète et favoriser l’émergence d’une agriculture durable, en particulier dans les pays les plus pauvres.

Quatrièmement, des efforts doivent être faits pour distribuer de façon plus rationnelle et équitable la production agricole. Près de 800 millions d’êtres humains souffrent en effet de malnutrition (la plupart d’entre eux en Asie et en Afrique Subsaharienne) alors qu’au contraire un milliard de personnes sont suralimentés et qu’un tiers de la nourriture produite aujourd’hui dans le monde n’est pas consommée.


Satisfaire les besoins essentiels de 9 milliards d’individus que comptera l’espèce humaine en 2050 est loin d’être impossible. Cependant, il nous faut pour y parvenir un niveau de conscience et de volonté collectives qui pour l’instant font défaut. Or, comme nous le rappelle l’anthropologue Jared Diamond, de grandes civilisations se sont effondrées faute d’avoir anticipé suffisamment à l’avance les problèmes écologiques posés par leur développement. Pour la première fois dans l’Histoire de l’Humanité, c’est l’espèce humaine toute entière qui est menacée d’effondrement.

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