dimanche 13 novembre 2016

Qui seront les gagnants et les perdants du pétrole bas ?

Publié dans le magazine Ma Yech, novembre 2016

Le 28 septembre dernier, l’OPEP a annoncé qu’elle allait réduire sa production de pétrole de 700 000 barils par jour en 2016. Cette annonce correspond à la première décision de baisse de production du cartel depuis la crise financière de 2008, où le prix du baril était descendu à moins de 40 dollars.
Cette nouvelle a pris le marché par surprise, propulsant le prix du baril vers les 50 dollars.
Pour comprendre l’origine et la portée des événements actuels, il faut remonter plusieurs années en arrière. Le développement du pétrole de schiste aux Etats-Unis à partir de la fin de la décennie 2000 a profondément bouleversé le paysage énergétique mondial, hissant les Etats-Unis au rang de premier producteur mondial en 2014. Pour contrer ce développement, l’Arabie Saoudite avait décidé fin 2014 d’augmenter fortement sa production, contre la volonté des autres membres de l’OPEP, et contre ses propres intérêts financiers (nous y reviendrons plus bas). Ce changement de politique, conduit dans un contexte de faible croissance mondiale, a provoqué un excès d’offre de pétrole qui a fait passer les prix du pétrole d’un prix d’équilibre voisin de 100 dollars en 2011 à moins de 30 dollars au début de l’année 2016.

Cette politique s’est avérée plus coûteuse pour les membres de l’OPEP que pour l’industrie du pétrole de schiste américain. En effet, si les investissements en pétrole de schiste se sont bien provisoirement arrêtés du fait de l’effondrement des prix du pétrole en 2015, la baisse a également forcé les acteurs de cette industrie à innover et à rationaliser leurs coûts. Ainsi, les forages de pétrole sont repartis aux Etats-Unis dès juin 2016, après la stabilisation des prix du pétrole au-delà du seuil critique de 40 dollars le baril. L’industrie du pétrole de schiste américain bénéficie en outre de deux avantages déterminants : un temps de développement inférieur à un an (contre cinq ans dans le reste de l’industrie pétrolière) et une période d’amortissement des coûts fixes inférieure à 18 mois (contre dix ans généralement). Ces caractéristiques très particulières font que, non seulement l’industrie du pétrole de schiste américain n’a pas été irréversiblement détruite, comme l’espérait le royaume saoudien, mais sa flexibilité et ses coûts maîtrisés assurent que le prix du pétrole ne pourra plus dépasser durablement les 60 dollars, au moins tant que les contraintes écologiques et géologiques le permettront…

Or, le coût du pétrole bas est très élevé pour les  pays producteurs de pétrole dont l’économie est moins développée et moins diversifiée que celle des Etats-Unis, tels que l’Arabie Saoudite et la Russie. Dans certains cas, comme ceux du Venezuela et de l’Azerbaïdjan, la baisse des prix du pétrole a débouché sur une crise économique et sociale majeure. Ces différents pays doivent aujourd’hui mener des plans d’austérité drastiques pour équilibrer leur budget. Ils doivent également s’efforcer de diversifier leur économie, face à un reflux des prix du pétrole qui s’annonce structurel. Le défi sera immense pour l’Arabie Saoudite, qui n’a pu acheter la paix sociale qu’à grand renforts de pétrodollars face aux révoltes nées du printemps arabe. Devant l’ampleur de son déficit public (dépassant les 10% de son PIB), l’érosion rapide de ses réserves de change, et une crise bancaire naissante, le Royaume wahhabite, qui vient de conduire avec succès la première levée de dette publique de son histoire, a donc décidé qu’il était temps d’agir pour faire remonter les cours du baril.

Pour l’instant, les pays de l’OPEP n’ont manifesté qu’une intention de réduire leur production. Ce n’est qu’après la réunion de l’OPEP du 30 novembre à Vienne, que nous saurons si cette intention sera suivie d’effet et comment seront répartis les efforts entre pays de l’OPEP (la Russie pourrait également y être impliquée). Or, de nombreux obstacles restent présents, le premier étant la volonté de l’Iran d’augmenter significativement sa production au cours des prochaines années, suite à une longue période d’embargo. Mais un autre problème de taille se présente : le cartel pourrait avoir du mal à établir un consensus sur les chiffres de production actuels des Etats membres. A titre d’exemple, le ministre de l’énergie irakien s’est plaint après l’annonce du 28 septembre que les estimations officielles de la production pétrolière irakienne étaient sous-évaluées et que l’Irak, qui ne s’est plus vu imposer de quotas depuis la fin de la première guerre du Golfe en 1991, n’accepterait pas des estimations inférieures aux siennes. Une autre inconnue concernera la politique à l’égard des nouveaux entrants dans le cartel (Angola, Equateur, Indonésie et Gabon), qui n’ont jamais connu de quotas, mais aussi à l’égard du Nigeria et de la Libye, dont la production a été récemment affectée par des actes de sabotage et une situation de guerre civile.  

Il faut enfin rappeler que le non-respect des quotas individuels de production par les pays membres a toujours été un défi constant pour le cartel, jusqu’à ce qu’il annule ces quotas en 2008. En effet, le système de quotas repose sur un équilibre coopératif fragile. Il peut être dans l’intérêt d’un pays isolé de produire plus que son quota pour maximiser son propre revenu (tout en bénéficiant de la hausse des prix provoquée par la baisse de production dans les autres pays du cartel). Si trop de pays s’engagent dans cette politique non coopérative, alors l’effet de l’annonce du 28 septembre pourrait se trouver considérablement amoindri et les prix du pétrole retomber brutalement vers les 40 dollars dès que le marché se sera rendu compte de la supercherie.

La dernière inconnue du marché pétrolier concerne la demande. L’Agence Internationale de l’Energie vient de revoir la demande mondiale de pétrole à la baisse compte tenu du contexte de faible croissance, aussi bien dans les pays développés que dans les pays émergents. Par ailleurs, la baisse rapide des coûts de production de l’énergie solaire et éolienne ainsi que du coût de stockage de l’électricité pourrait conduire dans la prochaine décennie à une substitution du pétrole par les batteries électriques dans le domaine du transport.


L’avenir n’augure donc rien de bon pour les pétromonarchies et la Russie, dont le poids géopolitique pourrait se retrouver considérablement réduit dans la décennie qui vient, à mesure que les impacts du pétrole bas se manifesteront sur leurs économies.

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