Article publié dans le magazine Ma Yesh (mars 2016)
Depuis le début de l’année 2016,
on a assisté à des turbulences importantes sur les marchés financiers. Les
principaux indices boursiers des pays développés ont cédé plus de 10% et les
indices bancaires plus de 20% dans ce qui a constitué un des pires débuts d’année
boursier des cent dernières années…
Mais cette correction a en
réalité commencé au dernier trimestre de l’année 2014, avec la chute du pétrole
et des devises émergentes face au dollar, qui s’est poursuivie tout au long de
l’année 2015. Son origine a été le resserrement monétaire de la Federal Reserve
survenu à partir de l’année 2013. De novembre 2008 à septembre 2012, la Fed avait
en effet lancé des programmes successifs d’achat d’actifs d’une ampleur sans
précédent pour contrer les effets récessifs de l’éclatement de la bulle
immobilière aux Etats-Unis (multiplication par cinq de la base monétaire). Fin
octobre 2014, elle y met fin puis, en décembre 2015, elle relève ses taux directeurs
de 0.25% et annonce son intention de remonter « graduellement » ses
taux directeurs tout au long de l’année 2016 en fonction de l’évolution des
fondamentaux de l’économie américaine.
Ce resserrement monétaire a été
aussi lourd de conséquences sur les marchés que celui entamé à partir de l’été
2004 : dans les deux cas, les bulles favorisées par la politique de taux
bas menée sur les années précédentes ont alors éclaté. En 2006, c’est la dette
privée dite « subprime » qui avait été la première touchée. Cette
fois, la crise s’est focalisée sur la dette des pays émergents et des sociétés
productrices de matières premières. Comme en 2006-2007, l’onde du choc a mis un
certain temps à se propager vers l’ensemble des actifs financiers. Dans le cas
de la crise actuelle, il aura fallu un peu plus d’un an pour que l’illusion du « découplage »
entre pays émergents et pays développés prenne fin.
Aujourd’hui, l’épicentre de la
crise n’est plus le pétrole et le monde émergent mais les grandes banques d’investissement
européennes et américaines, qui se trouvent, comme en 2007-2008, dans le
collimateur des investisseurs. Endettement trop important, contexte global d’aversion
au risque élevée sur les marchés, actifs à risque (financement de projets liés
aux matières premières, prêts toxiques dans le cas des banques du Sud de la
zone euro), nouvelles régulations, gouvernance défaillante, faiblesse des
résultats due à une croissance mondiale atone et aux taux d’intérêts bas, incertitudes
politiques (popularité de Donald Trump et de Bernie Sanders aux Etats-Unis,
menace de Brexit…), opacité des bilans et interconnections forment le cocktail
détonant derrière cette nouvelle crise de défiance à l’égard des grandes banques
d’investissement. Emblématique de cette crise de défiance, l’action Deutsche
Bank a perdu plus de la moitié de sa valeur depuis avril 2014.
On se souvient qu’en 2008-2009,
la crise bancaire avait été jugulée par des actions sans précédent des Banques
Centrales et des gouvernements pour remettre à flot le secteur financier :
garanties sur le marché interbancaire, rachat d’actifs toxiques, recapitalisations,
prêts d’urgence, plans de relance…. Ces mesures exceptionnelles avaient conduit
à l’explosion du bilan des Banques Centrales et au creusement de la dette
publique, avoisinant aujourd’hui les 100% du PIB dans les pays industrialisés. Suite
à la crise sur la dette publique grecque survenue fin 2009, les gouvernements
des pays avancés, inquiets de subir à leur tour le sort de la Grèce, ont décidé
un tour de vis budgétaire dès 2010. On a ainsi délégué aux seuls Banquiers
Centraux le soin d’amortir les effets récessifs combinés du long cycle de
désendettement privé entamé à partir de 2006 et du cycle de désendettement
public amorcé quatre ans plus tard.
Il en a résulté une politique
monétaire ultra-accommodante, qui n’a pas manqué de produire son lot de conséquences
désagréables : taux d’intérêt très bas voire négatifs mettant en
difficulté les banques et les gérants d’actifs, recherche effrénée de
rendements profitant à des emprunteurs à la solvabilité douteuse, bulles
d’actifs, guerre des monnaies… Parallèlement, les bienfaits de cette politique
monétaire accommodante pour l’économie ont du mal à se faire sentir, car les liquidités
déversées sur les marchés d’actifs peinent à se traduire, en Europe au moins,
par des créations d’emploi significatives et par le retour à une inflation
proche de la cible des 2%. Comme souvent en économie, l’évaluation de l’impact
des politiques économiques se heurte au problème du
« contrefactuel » : on voit les désordres causés par les
politiques monétaires, mais on ne voit pas ce qui se serait passé en leur
absence (seule la crise des années 30 en fournit un aperçu pour qui s’intéresse
à l’histoire économique du siècle passé). Le resserrement monétaire de la Fed,
que beaucoup d’économistes ont jugé prématuré au regard des fondamentaux de l’économie
mondiale, s’inscrit ainsi dans un contexte politique de défiance de plus en
plus importante vis-à-vis de la politique monétaire. De nombreux candidats à la
primaire républicaine parlent de fermer la Fed, qu’ils pointent comme la
principale responsable des dérèglements financiers observés depuis une
vingtaine d’année. Du côté démocrate, Bernie Sanders souhaite également
renforcer le contrôle politique sur les actions de la Fed, de manière à ce que
ces actions bénéficient non plus au seul secteur financier mais au plus grand
nombre, une position partagée par le nouveau leader du parti travailliste
Jeremy Corbyn au Royaume-Uni. En zone euro, le gouverneur de la Banque Centrale
Européenne Mario Draghi doit faire face à la fronde des pays du Nord de la zone
euro (Allemagne, Finlande, Pays-Bas) qui s’opposent à ce qu’ils voient comme un
sauvetage permanent des nations emprunteuses.
La sacrosainte « indépendance » des Banques Centrales, qui
garantit leur crédibilité dans l’atteinte de leurs objectifs d’inflation, est
ainsi partout remise en cause. On peut d’ailleurs y voir un élément explicatif
du fait que l’objectif d’inflation à 2% n’est plus atteint dans aucun pays
avancé depuis deux ans.
Dans ce contexte politique chargé,
seule une nette dégradation des chiffres d’emploi et d’inflation – et donc une correction
boursière plus importante- pourra fournir aux banques centrales la légitimité
politique pour mener les actions nécessaires au sauvetage du système financier.
C’est ce qui fait de 2016 une année à hauts risques pour les marchés.
Super article. Toujours aussi intéressant de te lire.
RépondreSupprimerBises de Boston,
Nathan